vendredi 13 juin 2014

Je ne savais pas qu'on naissait vêtu-e

L'artiste performeuse Deborah de Robertis a exposé son sexe devant l'Origine du monde de Courbet au Musée D'Orsay.
Je ne connaissais pas cette artiste auparavant et je ne souhaite pas ici débattre l'intention de sa performance, de son message ni de son crédit artistique. Je souhaite juste me pencher sur ce qui a fait les choux gras de la presse à savoir qu'elle expose son sexe dans un musée devant le célébrissime tableau de Courbet. Il n'y a qu'à faire une recherche sur le nom de l'artiste pour voir les titres choisis par les médias quant à sa performance ou happening.

Que nous montre le tableau de Courbet? Un sexe de femme. Ce sexe est exposé, affiché à la vue de tous et toutes les visiteurs d'un musée qui n'est pourtant pas qualifié d'érotique et encore moins pornographique. Les enfants peuvent accompagner leurs parents, les étudiant-es des Beaux Arts et plastiques ainsi que les amateurs peintres peuvent demander à venir croquer l'oeuvre. Tout va pour le mieux.

Que nous montre Deborah de Robertis? Un sexe de femme. le sien en l'occurrence mais il n'en reste pas moins un sexe de femme. A peine exposé, les gardiens interviennent et la salle est évacuée comme en cas de danger.

Combien d'oeuvres de nu dans les musées? Combien d'artistes hommes exposée pour combien d'artistes femmes?
Faut-il être nue pour entrer dans les musées? Il semblerait bien que oui.


Ces chiffres datent de 2012, pas de l'âge de pierre.

Alors pourquoi évacuer Deborah de Robertis?

Peut-être pour les mêmes raisons qui font que  les Femen sont arrêtées manu militari pour attentat à la pudeur, de même que les femmes qui veulent nager poitrine nue à la piscine comme les hommes tandis que ceux et celles-là même qui réclament leur arrestation et leur interdiction traitent de bigot-e-s coincé-e-s moralistes les signataires de la pétition No More Page 3 du Sun.

Dans le cas du Sun comme dans le cas des nus au musée, la femme est exposée selon comme l'a conçu le créateur, en l'occurrence un homme. L'homme est le créateur, la femme mise en scène par lui est donc son oeuvre. Elle est objet. Dans le cas de Déborah de Robertis, des Femen, des Tumultueuses, la femme est créatrice, elle s'expose elle-même sans passer par l'oeil masculin. Elle est sujet.  Une femme nue exposée selon un point de vue masculin ne choque pas. Une femme qui assume sa nudité choque.
La nudité érotisée, sexualisée, hétérosexualisée ok.  La nudité naturelle, décomplexée, asexuelle, non.

La nudité en soi n'est pourtant pas choquante. Ce qui est choquant c'est ce que l'on peut en faire.Notre corps, de femme ou d'homme, n'est pas sale.  On ne naît pas habillé-e et d'ailleurs les codes vestimentaires changent d'une époque et d'une société à l'autre. Le sein nu est toléré à la plage. Pas à la piscine Pourquoi?

Les seins, les fesses, le sexe sont des organes comme les autres. C'est notre perception de ces organes qui en fait quelque chose de sexuel et de sale. La nudité, si elle est sexuée, peut ne pas être sexuelle. Et de toute façon, même si elle était sexualisée c'est bien notre conception du sexe, de la place des femmes et des hommes face à la sexualité qui pose problème.
Le problème c'est qu'on vit dans une société dans laquelle la nudité est associé à la sexualité masculine hétérosexuelle et, dans l'imaginaire collectif, que veut un homme hétéro? De la femme à poil. mais pas à poil comme elle pourrait y prétendre. A poil comme LUI veut qu'elle soit. Et les siècles de patriarcat ont rendu tout cela naturel. Les femmes nues sont représentées se trémoussant, dans des pauses suggestives et/ou humiliantes tandis que les quelques représentations d'hommes nus que nous pouvons voir montrent ces derniers dans des postures de conquérants, de vainqueurs. Il n'y a qu'à filmer des hommes en leur demandant d'adopter les mêmes positions et mimiques que les femmes pour s'en rendre compte.


mercredi 4 juin 2014

Le droit de sortir et circuler librement

Le harcèlement de rue, en France, je l'ai toujours vécu. Depuis que je ne sors plus systématiquement accompagnée par mes parents (oui ils étaient sans arrêt sur mon dos avant que je ne quitte leur maison pour mes études mais c'est un autre problème). Je ne suis pas la seule. Je ne compte plus les récits des copines et connaissances qui finissaient souvent par renoncer à sortir, à s'inscrire à un cours à l'autre bout de la ville et restreignaient ainsi leur liberté.
Depuis une agression à Lille, les médias semblent s'indigner de la non assistance aux victimes. Quand je parle de médias je veux dire les médias traditionnels parce que les médias anti-sexistes se sont déjà attelé au problème mais le public touché par ces derniers paraît restreint.
Je ne peux que me réjouir de voir ce thème faire la Une des grands journaux et tant mieux que la victime ait eu ce soutien. Malgré tout, cette médiatisation a un goût bien amer.
Pourquoi réagir juste maintenant à cette agression précise? Des femmes qui sont suivies avec insistance et menaces dans l'espace public ça arrive TOUS LES JOURS. J'ai été suivie 5 fois au cours de ma vie avec insistance, c'est à dire sur plusieurs mètres pendant plusieurs minutes et une fois plusieurs heures. Sur ces 5 fois l'une s'est terminée en attouchement sexuel, une autre en viol, après avoir été suivie des heures. Oui, des heures en plein centre ville, en plein après midi, avec plein de gens autour. Je ne compte plus les filles de la fac qui disaient devoir faire des détours pas possible pour éviter d'êtres suivies par des gars qui n'avaient de toute évidence rien d'autre à faire. Et je ne parle ici que des cas où l'on est suivie. Les remarques, commentaires, insultes, menaces proférées par ces "galants à la française" lorsqu'on les croise dans une rue sont encore plus largement répandues. Le soutien des témoins présents? Aucun. Des sites comme Hollaback ou projets crocodiles qui permettent aux victimes de ce harcèlement de rue de prendre la parole et de dénoncer ces actes montrent bien que les victimes n'ont souvent aucun soutien et sont en plus casi systématiquement culpabilisées.

Alors pourquoi se réveiller maintenant? Peut-être parce qu'il faut le cas "de trop". C'est ce à quoi je veux croire. Pourtant j'ai tendance à penser aussi au cas alibi. Quand j'ai appris par les médias l'agression de Lille et l'inertie des passagers témoins qui étaient dénoncée mon premier réflexe a été de me dire : Mais si ça choque que personne n'ait réagi lors de cette agression, pourquoi est-ce que ça ne choque pas que personne ne réagisse aux autres cas? Ou alors tout le monde est persuadé que les témoins interviennent dans les autres cas? Ou peut-être que les gens croient que ces agressions sont rarissimes? A la lecture de plusieurs articles, il m'a été donné l'impression que d'ordinaire les gens réagissent et de ce fait se posait la question du pourquoi dans ce cas là personne n'avait daigné bouger. Un peu comme si au travers de ce cas, l'opinion publique voulait se donner bonne conscience en matière de harcèlement de rue en le sur médiatisant (donc en le reconnaissant) et en oubliant de mentionner les autres cas. Ne pas mentionner que ce genre d'agression est légion, oublier les autres cas et les autres victimes c'est nier l'existance du harcèlement de rue à un niveau de fait de société pour le mettre à un niveau de cas isolé. C'est ce qui arrive avec les viols. On veut nous faire croire qu'il s'agit d'actes isolés perpétré par des déséquilibrés. Or on sait qu'il y a au bas mot 1 viol toutes les 8 minutes en france. Il me semble que ça fait beaucoup pour des cas isolés et ça fait beaucoup de déséquilibrés. Je n'ai pas la fréquence des actes de harcèlement de rue mais j'imagine qu'il s'en produit des dizaines par minute. Il n'y a guère que la Dre Muriel Salmona pour avoir rappelé dans ses articles que l'agression de Lille est loin d'être unique. Heureusement qu'elle est là pour le rappeler. Heureusement aussi que de nombreux sites en font l'écho et donne un peu de légitimité aux victimes.
Quoi qu'il en soit, que cette agression soit celle de trop ou l'alibi bonne conscience, il ne faut pas que l'attention médiatique retombe. Il faut au contraire continuer de parler de ce fleau et le combattre concrètement. Le harcèlement de rue n'est pas une fatalité. La France n'est pas le seul pays concerné mais il est beaucoup moins répandu dans certains endroits. Il faut arrèter avec l'idée que suivre une femme, la siffler, la commenter sur son physique sans qu'elle le demande, lui dire des insanités c'est de la drague, voire de la galanterie, cette fameuse galanterie française. Ce n'est pas de la drague, ce n'est même pas de la drague lourde mais des agressions. Et il ne faut pas fermer les yeux devant une agression.
Une pétition est en ligne pour exiger plus de sécurité quant aux violences sexuelles dans les transports en commun. Petites remarques quand même: c'est très bien d'avoir de telles plateformes de pétition mais il serait peut-être temps de parler de droit humain, comme dans toutes les autres langues. Et je tique toujours sur la photo représentant une femme violée, toujours jeune, jolie, la bouche entrouverte et les yeux mi-clos. Sincèrement, je ne me suis pas regardée dans un miroir pendant mon viol mais je suis certaine de ne pas avoir eu cette tête et cette expression là. J'étais je pense beaucoup moins glamour. Est-ce pour ne pas trop rebuter un public pas très au fait quant à la thématique du viol?